Paul Morand affirmait que la phrase proustienne ressemblait à sa conversation ( ses monologues) : Morand s'essayait d'ailleurs à imiter la voix et le phrasé de Marcel; c'est le seul document sonore nous permettant d'imaginer ce que pouvaient être les intonations et les modulations de Proust .
On fera la même constatation avec Françoise Sagan . Voila pourquoi elle est vivante ; Lisez-la : vous l'entendrez parler comme si vous étiez seule avec elle à l'écouter raconter . Souvenez vous d'elle ou souvenez vous de Sylvie Testud. N'oubliez pas de laisser la voix en l'air avant le point ou la virgule :
"Le dernier soir il m'avait embrassée. Puis il m'avait écrit . Distraitement d'abord. Ensuite, le ton avait changé.Je suivais ces gradations non sans une certaine fièvre, de sorte que, lorsqu'il m'avait écrit : "Je trouve cette déclaration ridicule, mais je crois que je t'aime", j'avais pu lui répondre sur le même ton et sans mentir : "Cette déclaration est ridicule mais je t'aime aussi" . Cette réponse m'était venue naturellement ,ou plutôt phonétiquement"( Un certain sourire, Juillard)
" Au fond, qu'avais-je à faire? Travailler un peu un examen qui ne me mènerait pas à grand chose, trainer au soleil, être aimée, sans grande réciprocité de ma part, par Bertrand.Je l'aimais bien, d'ailleurs . La confiance , la tendresse, l'estime ne me paraissaient pas dédaignables et je pensais peu à la passion . Cette absence d'émotions véritables me semblaient être la manière la plus normale de vivre. Vivre au fond , c'était s'arranger pour être le plus content possible. Et ce n'était pas si facile" ( Un certain sourire);
Par ailleurs il y a toujours pour le lecteur , semés ici et là, des bonheurs d'écriture , ce qui fait la grace de Sagan. Par exemple ce choix du mot "Yonne", distingué sans doute pour son onctuosité:
" La propriété de mes parents, au bord de l'Yonne, offrait peu de distractions. Je descendais sur la berge, je regardais un moment les troupeaux d'algues , ondoyants et jaunes , à la surface, puis je faisais des ricochets avec des petites pierres douces, usées, noires et agiles sur l'eau comme des hirondelles" ( Un certain sourire)
"La maison était longue et grise. Une prairie descendait jusqu'à l'Yonne, figée dans ses roseaux et ses courants crémeux,l'Yonne verte et lourde, survolée d'hirondelles et de peupliers"